Lecture analytique Candide
(incipit)
Introduction : Ce texte qui ouvre
le conte de Voltaire, décrit la société du château de T.T.T. dans laquelle vit
Candide. Elle se présente comme un paradis terrestre digne des contes de fée.
Cependant,
des failles apparaissent dans ce monde, et cette société se révèle bientôt
grotesque et factice, notamment ce qui relève de son pouvoir et de ses
justifications (philosophie optimiste héritée de Leibniz).
Deux
axes directeurs pourront guider notre approche
I
– Les Eléments du conte traditionnel ( = le conte de
fée)
a) Le Schématisme des
personnages
- Recours au nom-portrait
« Thunder-ten-tronck »,
sons durs, germaniques, Thunder = tonnerre,
allitération en « t » = idée de cacophonie.
« Candide », nom qui ne sonne pas germanique,
qui annonce son caractère et prépare sa physionomie.
« Pangloss », construit à partir de deux
mots grecs (symbole (et cliché) du savoir), Pan = tout, gloss
= langue : Il parle toutes les langues.
- Réduction de personnages à
un détail
« Cunégonde » = nourriture, énumération de
ses attributs, (sensualité).
« La Baronne », réduite à son poids (non
négligeable).
Les femmes partagent la même caractéristique, elles
sont grasses.
Les personnages sont des marionnettes, sans grande
profondeur.
b) Le Cadre
Il est propre au conte
- La scène se situe dans un
château, décor par excellence du conte
- Le temps de l’action est
imprécis, comme dans les contes. Usage de
l’imparfait, « il y avait »
rappelle le « il était une fois » traditionnel des contes.
- Le cadre de ce conte semble
figé (imparfait = temps de la durée, action habituelle et générale), univers
immobile, existant de toute éternité.
La scène se situe dans un cadre où tout semble aller
pour le mieux depuis toujours.
c) Un Monde idyllique et idéal
- Vocabulaire mélioratif :
« droit (l.5), bon et honnête gentilhomme (l.10), Monseigneur (l.22), une
très grande considération (l.25 - 26), honneur (l.26), dignité (l.27),
respectable (l.27 - 28), digne (l.30), toute la bonne foi (l.33),
admirablement (l.36) » en abondance et réparti dans l’ensemble du texte.
- Rôle des superlatifs :
« Le plus simple (l.6), un des plus puissants (l.15), meilleur (l.38), le
plus beau (l.39), la meilleure (l.40) » = éloge outrancier.
- Equilibre de la famille du
conte = harmonie (Père / Mère / Fils / Fille)
- Enfin, elle appartient à la
noblesse.
Conclusion : Ce texte emprunte donc au conte
traditionnel par certains aspects, mais il en est aussi une parodie.
II
– Les Effets de mise à distance (par rapport au conte)
a) Eléments problématiques
- La situation dans laquelle
se déroule l’action est précisée : La Westphalie (Allemagne), détail
réaliste qui rompt avec l’univers traditionnel du conte, qui court-circuite le
merveilleux.
- Aparté du narrateur :
« je crois », introduisant le doute sur la réalité décrite. Le
narrateur nous invite à prendre une distance critique par rapport à la réalité
décrite.
- Entorse faite au protocole,
à l’étiquette. La description des personnages commence par le portrait de
Candide (un bâtard), alors que traditionnellement, on débute par le personnage
le plus important hiérarchiquement ( = le baron). Le
narrateur introduit un doute sur la légitimité du pouvoir du baron.
b) Le Grotesque
- Les personnages
Le baron a un nom ridicule
(lourdeur), de plus « ils riaient de ses contes » détruit l’image
traditionnelle de la noblesse en suscitant l’hilarité de ses gens. Le fils « en
tout digne de son père » reçoit un éloge ambigu, étant donné ce que l’on
sait du père (ironie du narrateur).
Les deux femmes sont réduites à des détails
physiques ridicules (cf plus haut).
Pangloss peut signifier aussi qui parle à tout
moment, bavard impénitent.
« cosmolonigologie »
(l.36) = nigaud.
- Les quartiers de noblesse
(exagération grotesque)
71 : nombre énorme de quartiers, la mère de
Candide n’en a qu’un de plus (72). On peut noter la disproportion entre la
cause (un quartier de moins qu’elle) et l’effet (le refus du mariage et la
reconnaissance de Candide).
c) L’usage perverti du rapport
de causalité
Les rapports de cause à effet dans ce texte sont
pour la plupart ineptes et ridicules. « parce que » (l.11), quartier
de noblesse / refus. « car » (l.16),
puissance du baron (porte-fenêtre / tapisserie). « s’attirait
par là » (l.25), poids de la
baronne / considération. Le dernier paragraphe est la preuve (évidente !) « qu’il n’y a pas
d’effet sans cause » et son corollaire meilleur des mondes = meilleur des
maîtres
Ces preuves, censées prouver la grandeur du baron,
montrent en fait que son pouvoir repose sur les apparences et sur des signes
extérieurs futiles et dérisoires.
d) Illusion du pouvoir
nobiliaire
(fondé sur les apparences)
« Monseigneur » est en principe une
appellation réservée aux princes et aux ducs et non aux barons (plus bas dans
la hiérarchie).
- Distinction entre la
fonction (les choses) et le titre (le nom qu’on leur donne) : « tous
les chiens » => « meute », « ses palefreniers »
=> « ses piqueurs », « vicaire » => « grand aumonier » ( = premier aumonier de la cour des rois de France). Disjonction entre
ce que sont réellement les choses (assez misérables) et le nom qu’on leur donne
(valorisant), qui traduit un monde plus médiocre qu’il ne semble.
Conclusion : Il s’agit du texte
liminaire du conte de Voltaire, qui révèle le cadre dans lequel évolue Candide.
C’est un monde où dominent les apparences et dans lequel le pouvoir ne repose
sur aucun « fondement » solide (si ce n’est celui de la baronne).
C’est également un monde où règnent les préjugés (rôle de la généalogie) et qui
se révèle figé, donc amené à disparaître…ce que la suite de l’œuvre va s’employer
à illustrer.